Le moteur

Le moteur

Parfois je me demande si on trouve la musique parce qu’on manque d’assurance, ou au contraire, si c’est une certaine prédisposition pour la musique qui, forcément, te plonge dans un univers bourré de contradictions, de doutes, un univers d’introspection pas toujours joli à à voir, d’autant moins a partager.

Et pourtant je connais un paquet de musiciens qui sont absolument sûrs d’eux mêmes, surtout chez les chanteurs: il faut aimer la scène pour chanter, il faut aimer les spotlights. Il faut savoir faire le beau.

Cependant, la plupart des chanteurs qui me captivent vraiment ont toujours une certaine aura de mal de vivre. Ou bien carrément le discours et l’attitude de La Victime. Et là c’est transversal, ça traverse toutes les formes d’expression artistique.

Tiens, au hasard:

Tom Waits, Lou Reed, Patti Smith, Elvis Costello, Thom Yorke, Bowie bien sûr (même si c’est un cas à part), Dylan, Chet Baker, Billie Holiday, Joe Strummer, Gainsbourg, Hank Williams, Ray Charles, et tant d’autres. Puis sur le trottoir d’en face t’as Baudelaire, Verlaine, Huxley, Kafka, Boris Vian, Philip K. Dick, Jack Kerouak et Ginsberg, William Burroughs, ouf…

Bref, si tu inscrits cette liste d’auteurs sur ton CV sous le titre “centres d’interêts”, t’es foutu. Tu décrocheras pas le job. Tu viens de te définir comme une personne marginale, voire personnalité limite, probablement solitaire, antisocial, au pire peut être Autiste ou Asperger, avec un penchant pour certaines addictions. La définition même du Freak, du Loser. Le ténébreux, le voeuf, l’inconsolé.

When you were here before
Couldn’t look you in the eye
You’re just like an angel
Your skin makes me cry

 

  • Et si on passait tous à tour de rôle de l’autre côté de la vitre?
  • Non mais quoi tu délires?! il est 5:00 du mat! Arrête tes conneries.
  • Mais si ça se trouve on découvre quelque chose, je sais pas moi, une idée…
  • Oh putain, tu le connais, Jules! Il va insister jusqu’à ce qu’on le fasse: allez, qui y passe d’abord? On se dépèche!

 

Do I feel decaying slowly

Do I feel I’m on my own

Do I stare at missing pieces

 

Et donc, le moteur:

J’ai toujours eu besoin d’un pilier qui me dise quoi, quand et comment  faire: quelqu’un qui te caresse dans le sens du poil chaque fois que tu pense que t’a fait quelque chose de bien. Quelqu’un qui te cajole quand t’as fait une connerie.

Normalement, ce pilier ça a toujours été ma compagne, quelle qu’elle soit: la responsable des décisions, de la logistique,  du jean parfait, des godasses adéquates. Mais bon, y’a pas toujours eu de compagne, surtout ces vingt dernières années.

Bon des compagnes, y’en a eu, bien sûr, mais fallait quand même verifier plusieurs caractéristiques pour qualifier dans le rôle de pilier. Ça n’a jamais été évident.

En surface, j’ai toujours été un type  qui personnifiait la trouille: trop timide, bourré de tics et de tracs, victime de tout et de tous, Calimero, quoi. Calimero, c’était mon hero. Ça déjà, c’était  pas vraiment encourageant pour qui que ce soit, mais ajoutez ce qui suit: distrait, capricieux, obstiné, égoïste, indifférent, obsessif compulsif, en surface. Mais dans le fond, quand tu vis le jour le jour depuis l’intérieur, c’est pas aussi simple que ça. J’en reparlerai sûrement plus tard.

Donc pour la musique, j’ai dû rencontrer un type qui a bien voulu écouter mes premières maquettes. Le pilier, le moteur.

Un mec  assez bizarre aussi, un peu frappé, faut le dire. C’est pas facile de vivre ta jeunesse, ton adolescence, sous le joug d’un état policier, d’une dictature violente et sanguinaire.

D’ailleurs, au fur et a mesure que je vieillis, que mes bagages deviennent plus lourds et encombrants, je commence à comprendre pourquoi la misère a imprégné l’âme de certaines personnes. Pourquoi c’est aussi difficile pour elles de revenir.

 

You’re not a felon, you’re not a victim

You ain’t no judge, you ain’t no jury

It’s just this burdon, in your heart

Give up to misery

 

Mais c’était donc un type cultivé, le pilier. Un vrai musicien. Pas  un apprenti sur le tard, comme moi. Et il a bien fallu qu’il voie quelque chose, quelque chose qu’évidemment une victime comme moi ne voit jamais. Surtout pas enfermée sur elle même.

Au préalable, quelque chose m’a quand même convaincu qu’il fallait que je fasse quelque chose avec mes premières chansons. Ça faisait donc beaucoup de “quelque chose”, ce fut probablement  le point d’inflexion. Sans ça, j’aurais rien montré du tout, à personne.

Ce fut peut être ce zérosept terrible: la dépression, et puis les retrouvailles avec Dan, que je croisai dans la rue, para hasard. Il n’avait pas de taf depuis quelques mois, et il se trouvait justement que je pouvais lui offrir quelques heures de cours, une dizaine d’heures hebdomadaires. On commençait donc à se voir régulièrement. Et puis ce fut le jour même où j’allais à la rencontre de ma guitare. Ma belle télé bleue. Je l’avais trouvée sur l’un de ces premiers sites web de petites annonces. Donc je me retrouvai ce beau matin d’hiver, autour de 10:00, le cul congelé, posé sur un banc de pierre glacé, Place des Jacobins, avec une centaine d’euros dans la poche. On a fait l’échange. Ma belle guitare.

Le début d’un nouveau début.

Au bout de quelques semaines, on se réunissait avec quelques profs, after hours, dans les studios de l’école. On faisait des reprises. On a essayé plusieurs chanteurs. Moi, je ne sortais pas encore mes maquettes, j’osais pas. Chanter encore moins. Cependant j’avais déjà mes quatre premières chansons.

Quelques semaines plus tard, l’enthousiasme s’est réduit a deux ou trois profs, puis on a fini par se réunir Dan et moi, personne d’autre. Là, je lui montrai les maquettes, et je chantai.

Et c’était parti. Il m’a proposé d’inviter deux potes à lui, pour monter les chansons, et tout a commencé. Aujourd’hui, une centaine de chansons plus tard, tout semble irréel. Comment ai-je pû tenir sans la musique? Ai-je donc trouvé la recette du bonheur?

Pas vraiment, non, c’est pas tous les jours facile. Et je continue à chercher une méthode. Une méthode qui m’éloigne définitivement de la pulsion d’autodestruction.

Cependant, j’ai peut être trouvé une recette pour écrire mes chansons.

 

  • T’as pas trouvé ça bizarre, toi?! Il nous a fait chier toute la nuit, pourquoi faire? Il a pas pu articuler deux mots, le con, il s’est mis à chialer devant le micro …
  • Oui mais tout de même il m’inquiète, c’est pas normal, ça. Ce disque va nous démolir, on en a trop mis. Ça fait un an qu’on galère! Et le gosse, ben tu sais bien, ça fait quand même un an sans voir un rond. Il aime ça la musique, c’est bon, c’est vu, mais quand même, faut pas abuser. Moi je crois il nous fait une dépression, Az. Et puis va savoir comment ça va chez lui, il passe 18 heures par jour assis devant les machines, elle doit pas être très contente, sa copine…
  • Ouais, t’as peut être raison, faudrait en parler un de ces quatre.

 

I’m unhappy with myself

I’m unhappy with my soul

I’m unhappy with my mind

It’s just too late to hit rewind