La cuisine

La cuisine

(Ah non mais quel con…)

  • Azraël, t’es vraiment un morceau! Tu crois vraiment que quelqu’un en a quelque chose à foutre, de tes délires artistiques?! L’ ukulele, maintenant, le youkelele, comme dit ton pote Franco! Il manquait plus que ça…
  • Mais oui, doit bien y avoir quelqu’un… Et puis nous, là, ici, qu’est ce qu’on est? T’aimes pas ma musique?
  • Oh putain, on y revient! C’est pas ça qui va payer les factures, merde! Et puis l’école de “ta fille”! Pas aujourd’hui s’te plait… Descends la poubelle, plutôt.

Ce que j’aime le plus de la cuisine, c’est le son. Superbe. J’ai bien fait d’enlever les meubles en formica, surtout les meubles hauts. Même les engueulades ont un joli son. Belle reverb.

  • Mais tu penses à quoi? T’as déjà vu une cuisine comme ça? Et les assiettes?! Tu penses vraiment que les assiettes peuvent aller en bas? Ça se voit bien que tu laves jamais.

Oui, la peinture ça fait obscur, mais bon. T’as déjà vu une cuisine qui brille? Je veux dire, une cuisine normale. Pas le Palais de Versailles, pas la cuisine de l’ambassadeur. Une cuisine normale, disons, Marne La Vallée, à 130.000 euros. Oui, y’a Mickey et Ouigo, c’est vrai, disons deux stations avant, Bussy-saint-Georges, ou Torcy, ou Val d’Europe.  T’as déjà vu une cuisine sans une trace de moisi?

L’important c’est les couleurs.

Et puis ce grand mur gris: les photos, évidemment! Faut mettre du fric sur les photos! Bien encadrées. Belles couleurs. Ça, ça illumine.

Imagine.

Panchito cries,

She said goodbye

There’s not much to say

Nothing will stay

Ah oui, elle sonne bien, ma cuisine.

Tant que les moteurs continuent à tourner, je peux vivre avec.

 

Alors la poubelle, oui.

 

(Je ne pense jamais qu’une femme doit être comme ça, je ne crois pas que ma femme soit comme ça. Ni un homme comme moi, d’ailleurs. Je l’aime. Mais elle ne m’aime plus. Elle ne m’a peut être jamais aimé. Bon, d’accord, je suis capricieux, je vie dans la lune, je casse tout ce que je touche, . Mais quand même. On a tenu la route presque 30 ans.)

 

Je n’aimerais pas mourir sans avoir résolu les histoires antérieures. Les miennes, d’abord, puisque finalement on est ici pour apprendre et accomplir quelque chose. Pas pour intoxiquer les autres avec ses blocages.

 

quand le gosse a voulu partir parti, c’etait ma faute? Ta faute? Sa faute? C’etait la  faute à quelqu’un?

 

You broke me bad

You never seem to care

And I had to carry

This love

Moi aujourd’hui je respire, et je la refais sur le youkelele. Et toutes les crises, les engueulades, toute la violence, tous les pleurnichards du monde,  toutes les victimes, les furies et les braillards, tous. Tous ils sont bienvenus.

Les citations et les chansons. Les cales bien faites, les bonnes leçons, les grands yeux noirs. Les lueurs d’espoir. La douleur, les déceptions, la cruauté, surtout venant de qui tu aimes. Tous bienvenus. Tant qu’on peut apprendre à vivre.

Le gosse a voulu partir, mais il est resté. Point. À la ligne.

 

  • Bien sûr, tu veux dire que c’est de ma faute! Tu fais toujours la même chose! Incapable d’assumer, je me demande d’ailleurs parfois de quoi t’es capable. Finalement, tu sais parfaitement que si tes enfants en sont où ils en sont aujourd’hui, c’est pas grâce à toi. Oh non! Tu sais parfaitement que je les ai élevés toute seule, sans ton aide. Ah c’est facile comme ça! C’était pas à toi de distribuer les baffes et tirer les oreilles. Le petit papa de mon coeur.
  • J’aime pas quand tu dis ça, c’est vraiment trop injuste! Je me cassais bien le cul à bosser 15 heures par jour, 6 jours par semaine…
  • Ben oui, c’est ça, tu vois? Toute seule! Toi et ton job bidon, jamais à la maison. Et en plus il voulait  être producteur le dimanche, le mossieu!  Si au moins le fric avait suivi, Mais évidemment c’est pas le cas, pas du tout le cas! Endettés, dans la merde jusqu’au cou…

 

Et quand la petite est partie, pour de vrai? Tu n’étais pas vraiment d’accord sur aucune de ses décisions, sur le fond de son projet… Son plan de vie, quoi.

Quand elle se ramassa sur les marches du RER Chatelet avec ses trois valises, quand elle reçut une ribambelle de mots aimables en guise d’aide, les genoux en sang? Bref, quand elle fit connaissance de l´hospitalité Parisienne, légendaire, t’étais où?

Quand elle dut se déguiser sous l’ombre de La Guillotière, toute seule, pour passer inaperçue? Et quand la perfide albion l’envoyait chier royalement en ligne, quand elle chialais, quand elle mourrais, tu écrivais peut être? Quand elle buvait sa tisane pour noyer l’angoisse de l’abandon, à 14000 kilomètres de chez nous, t’étais là?

Mais elle s’est relevée quand même, doucement.

C’est blessant de t’entendre dire aujourd’hui qu’ils n’ont rien accompli, que tout n’a toujours dépendu pur et simplement que de toi. Moi franchement, je me fous de ce que tu penses, j’ai perdu l’habitude d’avoir peur de toi. Oublié.

Oui, ça peut briser un coeur, tout ça.

 

J’ai rêvé tous les soirs qu’on pourrait se revoir

J’ai prié dans le noir

Le jour des sans-espoir

  • Je te parle comme je veux! Je suis ta mère! Tu te prends pour qui?!